PREFACE (retour)
Karel Kupka est peintre. Techniquement il sait tout ce qu'il convient
de savoir sur la peinture de chevalet. Mais, une juste mesure de son génieartistique
propre, l'amène à s'intéresser à celuid'autrui,
celui de ses frères en métier de l'autre bout du monde.On
connaît en effet, depuis Sir Baldwin Spencer, les étonnantespeintures
sur écorce de la Terre dArnhem, au -nord de lAustralie. On sedoute
bien qu'une telle concordance n'est pas dûe au hasard. DepuisSpencer,
bien des individus, curieux par métier ou par vocationpersonnelle,
sont passés par la Terre d'Arnhem et ont recueilli, par-cipar-là,
quelques pièces. Il faudra cependant attendrel'après-guerre
39-40 pour qu'apparaisse le premier ouvrageconsacré aux peintres
sur écorce, fruit de la collaboration duProfesseur Elkin et de
son élève Ronald Berndt. Ce dernier, quiavait collecté
le premier ensemble systématique depuis' Spencer,ne l'a jamais
encore publié. C'est bien dommage d'ailleurs. Il aura doncfallu
Fobscure et impérieuse vocation d'une personnedéplacée,
d'origine tchèque, pour que soit entreprisl'inventaire nécessaire.
C'était la rencontre de deux traditionspicturales, aussi raffinées
l'une que l'autre, et tout aussi modernes.La connaissance de l'intérieur
d'un art aura permis d'en éclairerun autre. Les ethnologues spécialisés
de la régionrelèvent d'une école à la fois
fonctionnaliste etteintée de durkheimisme, où l'ethnographie
de la viematérielle conservait le discrédit où l'avaientjetée
les abus des théoriciens allemands des -Kulturkreise - Lavie quotidienne
et même l'art ne pouvaient êtreconsidérés comme
des sujets d'étudesprivilégiées. Bronislaw Malinowsky'et
Radcliffe Brownétaient passés par là. Karel Kupka,
n'étant pas audépart ethnologue, ne subissait l'influence
d'aucun de cespréjugés. Au contraire, ses connaissances
technologiques devaientlui faciliter l'accès à l'approche
précise dans ledétail, qui fait se délier les langues.
Plus qu'un autre, ilpouvait se rendre compte des facteurs contraignants
auxquels ne pouvait sedérober le peintre sur écorce : accessibilité
dumatériau, problèmes de son déroulement et de sa
mise enforme, palette des couleurs, fabrication et usage des pinceaux.
Les formationsuniversitaires classiques y amènent rarement, d'où
les erreurs oules négligences de tant d'observateurs, compétents
pour certainsaspects, incompétents pour tant d'au tres. Conscient
pourtant de sesinsuffisances de départ, Karel Kupka s'est donné
du temps. Celivre est le résultat de vingt ans d'efforts, le plus
souvent dans desconditions financières difficiles. Il lui a fallu
longtemps pourrecueillir un fruit attendu anxieusement, la reconnaissance
officielle de lavaleur de ses travaux. Elle lui vint en premier lieu grâce
àl'intelligent intérêt quy prit le Professeur Bühler,Conservateur
en chef de ce Musée dEthnographie de Bâle,célèbre
par près d'un siècle d'expéditionsscientifiques en
Océanie. En même temps, le Professeur Elkin,titulaire de
la chaire et responsable de Département dAnthropologie del'Université
de Sydney, sut voir en Karel Kupka l'instrument du destinpour sortir ce
dossier de l'ornière. Ce n'est que bien plus tard que jefis connaissance
de notre auteur, et que j'appris à apprécier sondévouement
à la cause qu'il avait embrassée, et que jereconnus, dans
le processus tâtonnant d'essais et d'erreurs qui avaitété
le sien, la naissance d'une méthodevéritablement scientifique
appliquée à la fois aux oeuvreset, enfin, aux peintres sur
écorce. Le Musée National des ArtsAfricains et Océaniens,
situé avenue Daumesnil à Paris,put ainsi accueillir la très
belle collection, la mieuxdocumentée qui soit, servant de matériaux
à l'analyseproposée ci-dessous par Karel Kupka. Le lecteur
appréciera laprudence du spécialiste de renom international
qu'est devenu notre ami.Je l'ai vu - et je l'aime pour cela - rejeter
peu à peu tellehypothèse qui lui souriait, parce que le
recours permanent à latotalité de l'information recueillie
ne lui permettait plus de s'yaccrocher. Il eut été si facile,
en un dorhaine où lescrupule scientifique est parfois absent, de
privilégier telledonnée qui "Collait" avec l'idée
de départ etnégliger telle autre qui l'aurait contredite.
Spontanémentélaborée par Karel Kupka, la méthode
consistant àinventorier tous les aspects perceptibles et attestés
de laréalité étudiée rejoignait celle que
nous avionssuivie depuis un quart de siècle et qui est à
la base de notreenseignement. Ce n'est pas un chemin facile. On rencontre
à tout momentun ordre de choses qui vous avait échappé
et qui vous obligeà tout reprendre. Le perfectionnisme impénitent
qui est laqualité première et le plus gros défaut
de Karel Kupka seretrouvait à l'aise dans ce cadre. Pour un art
classé comme - pri. mi . tif ", et comme tel jugé le
fruit des seulesreprésentations collectives, offrir un catalogue
quasiexhaustif despeintres, de leurs oeuvres, et de chacun des éléments
symboliquesconstituant le lexique de ce langage coloré, c'est nous
apporter unedocumentation dont nous disposons rarement, même pour
l'époquemoderne. C'est aussi rendre à la vie ce qui était
mort,puisqu 1une oeuvre dépouillée de son contexte n'est
plus qu'un objet deconsommation esthétique. Karel Kupka nous apporte
de quoi comprendre,jusqu'à la limite de ce qui est possible lorsqu'on
n'est pasinséré dans la société, et capable
de saisir lapart d'informulé, verbal ou plastique, qui entre dans
le dialogue entrele peintre et ceux à qui son art est destiné.
C'estdéjà beaucoup, beaucoup plus qu'aucun autre observateur
n'a su,ou n'a encore voulu, nous apporter. Il n'est pas négligeable
que lacommunauté artistique internationale puisse entendre parler,
en tant quecréateurs, de gens comme Mavalan et ses frères
en peinture surécorce, et reçoive ainsi une part de la connaissance
descapacités inouïes de l'homme lorsqu'il cherche à
se trouveret s'exprimer par le dessin et la couleur. Formes et vibrationscolorées,
émanant de plaques d'écorce ou palpitant aurythme des ventres
humains leur servant de support, avant de se retrouver,identiques et dissemblables
à la fois, sur les contenantsfunéraires ou les longues trompes
djidjeridoo, cet universmystérieux des peintres de la Terre dArnhem
nous est rendu accessiblegrâce à Karel Kupka. Réjouissons
nous donc.
Jean GUIART
INTRODUCTION (retour)
L'ouvrage ici présenté constitue
la confrontation d'une recherche personnelle et indépendante avec
une documentation bibliographique et iconographique rassemblée
de sources diverses. Cette entreprise fut orientée différemment
au début. Peintre voulant trouver une réponse à la
question obsédante "Pourquoi la peinture ? " je me suis
tourné vers les arts préhistoriques et ceux appelés
primitifs, plus précisément vers la peinture des aborigènes
australiens. Le résultat de cette étude comparative est
contenu dans un ouvrage, publié en 1962, "Un art à
l'état brut". Toute comparaison qui repose sur des données
insuffisamment dégagées est peu satisfaisante pour celui
qui l'entreprend avec désir de précision. C'est ainsi que
cette tentative n'aura pas de suite, pour l'instant tout au moins. Au
lieu de poursuivre des spéculations d'artiste, j'appliquai alors
une méthode quasi juridique ? héritage d'études lointaines
? à une recherche systématique concernant un art spécifique,
entre autres quant à la critique des sources et quani au moyen
de la preuve. De peintre je devins apprenti ethnographe, conversion faite
surtout grâce à l'intérêt des professeurs A.
P. Elkin et Jean Guiart, et à l'aide matérielle d'organismes
publics, notamment le Centre National de la Recherche Scientifique et
l'Institut Australien des Etudes Aborigènes. Une partie de la documentation
photographique étudiée n'est "mienne" que par
un effort de compilation. Pour faciliter la référence, je
désignerai les institutions auxquelles les pièces décrites
appartiennent, ainsi que les ouvrages d'où elles sont reprises,
par des abréviations expliquées dans des "Notes explicatives
qu'on trouvera p. XI, XII, XIII. Pour indiquer les pièces déjà
reproduites dans mes publications anciennes et permettre de s'y référer
plus aisément, je donnerai, dans les mêmes "Notes"
leur recensement numéroté.
TABLE
DES MATIERES (retour)
PREMIRE PARTIE : L'HOMME ET L'ART AUSTRALIENS,
OBSERVATIONS ANCIENNES
ÉTAT ACTUEL DE NOS CONNAISSANCES
LE PASSÉ ABORIGÈNE
ISOLEMENT ET TRADITIONS
MISE A U POINT
LA SITUATION ACTUELLE
LES "RÉSERVES "
L'HABITA T
ALIMENTATION ET RÉPARTITION DES TÂCHES
ÉDUCATION
ARTISANAT ET OCCUPATION DIVERSES
LOISIRS
ADAPTATION A LA VIE MODERNE
IMPORTANCE ET VALEUR DES ARTS
POPULARITÉ RÉCENTE DES ARTS PLASTIQUES
DEUXIEME PARTIE : MODALITÉS D'UNE RECHERCHE
A PRÉPARATION THÉORIQUE, COLLECTIONS
EUROPÉENNES, RECHERCHE ICONOGRAPHIQUE ET ÉTUDES DES STYLES
RECHERCHE BIBLIOGRAPHIQUE
DOCUMENTATION PHOTOGRAPHIQUE
LACUNES DANS LA DESCRIPTION DES OEUVRES
NÉCESSITÉ D'UNE COLLABORATION SCIENTIFIQUE
SOURCES DE NOS RENSEIGNEMENTS
RÉALISATION DES FICHES TECHNIQUES
B ENQUÊTE SUR LE TERRAIN
OR GA NISATION DE LA MISSION
ÉTABLISSEMENT D'UN ITINÉRAIRE
SÉJOUR SUR LE TERRAIN
RELATIONS ENTRE LE CHERCHEUR ET SES "INFORMATEURS"
RECUEIL DE RENSEIGNEMENTS ET DE COLLECTION
CONCLUSION DE L'ENQUÊTE
TROISIEME PARTIE : VOCATION ET MÉTIER DE
PEINTRE UN PEINTRE DANS UNE SOCIÉTÉ SANS ÉCRITURE
DES FONCTIONS DE LA PEINTURE
ÉCORCES PEINTES : CHOIX ET PRÉPARATION
COULEURS ET PINCEAUX
PROCÉDÉS DE TRAVAIL
TRAITEMENT DE L'ESPACE ET DES THÈMES
PIÈCES "SCULPTÉES ? PEINTES,
RITUELLES ET AUTRES
PEINTURE RITUELLE CORPORELLE
INFLUENCE DE LA PEINTURE PARIÉTALE
UTILITÉ ET FONCTION DES ÉCORCES
PEINTES
LES PEINTRES
INDEX GENERAL
INDEX VERNACULAIRE
LES OEUVRES RÉPERTOIRE DES COLLECTIONS
RAPPORTÉES EN 1964 PAR LA MISSION KAREI, KUPKA AU MUSÉE
DES ARTS AFRICAINS ET OCÉANIENS
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